ALAIN (Emile-Auguste CHARTIER, dit) - Manuscrit autographe signé (Propos d'un Normand)

Manuscrit autographe signé d'ALAIN (Emile-Auguste CHARTIER), intitulé "Propos d'un Normand", sans lieu ni date (probablement 1908). 2 pages.

Sur la politique et les sciences sociales :

« Cérébrof me montra les affiches qui fleurissaient les murs de leurs couleurs gaies, et gémit en ces termes sur les malheurs de ce temps : "hélas ! hélas ! Il existe des académies, des dictionnaires, des laboratoires et des cours publics ; la Science pénètre partout, excepté dans la politique. Tous ces candidats, dont plusieurs seront élus demain, ce sont des ignorants. Leurs discours sont plats et monotones ; le premier marmiton les saisit d'un coup d'oeil. Je ne vois là que des boutiquiers des avocats et des médecins, tous gens qui ignorent la science pure. Et nos docteurs en Sciences Sociales restent enfermés à la Sorbonne ou au Collége de France, gouvernant, faute de mieux, la République de Platon. Non ce n'est pas demain que les savants seront rois".

"Cérébrof, lui dis-je, professeur Cérébrof, je vais vous affliger ; je tiens beaucoup à ne pas être gouverné par vos docteurs en Sciences Sociales. Quand je lis leurs leçons, par hasard, j'y perds mon temps ; je n'y trouve que des résumés d'autres livres, et des guerres d'auteur contre auteur. Ce sont des gens à idées générales ; les uns sont pour l'Etat contre l'Individu, et les autres pour l'Individu contre l'Etat. Les détails sont de l'histoire qu'ils décorent du nom de sociologie, de l'histoire que chacun ajuste à la thèse qu'il soutient, ainsi qu'on a toujours fait depuis qu'on écrit l'histoire. Cette science est encore bien jeune. Si quelque sociologue touchait aux affaires, il me ferait l'effet de quelque Bouvard ou Pécuchet qui aurait feuilleté un album anatomique, et qui se mêlerait, après cela, de m'ouvrir le ventre. Au reste saura-t-on jamais, de vraie science, ce que c'est que la France, ou seulement ce que c'est qu'une grande ville, jusqu'au détail ? On prévoit tout juste les crues de la Seine. Des hommes bien informés Qui peut prévoir les variations des prix, les crises monétaires, les banqueroutes ? Quelque milliardaire rompu aux affaires. Encore s'y trompe-t-il souvent. L'Etat-Savant m'effraie. Il nous purgerait ; il nous échaufferait ; il nous donnerait du bistouri. Ma foi les choses ne vont pas si mal ; qu'on nous donne de l'eau propre et qu'on enferme les chevaliers du couteau, je n'en demande guère plus. Cet agent de police qui bat le trottoir, ce n'est pas un sociologue ; il gouverne pourtant ; il prend plus de dix décisions à l'heure ; il empêche les voitures de s'accrocher. Pourtant il n'a soutenu aucune thèse en Sorbonne sur les sur les moyeux à travers les âges." »

À partir de 1903, ALAIN publie (dans La Dépêche de Rouen et de Normandie) des chroniques hebdomadaires qu'il intitule Propos du dimanche, puis Propos du lundi. Celles-ci sont remplacées en 1906 par la parution quotidienne, à la une du journal, des Propos d'un Normand (il en paraîtra 3083 du 16 février 1906 au 1er septembre 1914).

Les Propos d'ALAIN sont de courts articles, inspirés par l'actualité et les événements de la vie de tous les jours, au style concis et aux formules séduisantes, qui couvrent presque tous les domaines.

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Beau texte dans lequel on retrouve l'idée que la capacité de jugement que donne la perception doit être en prise directe avec la réalité du monde et non bâtie à partir d'un système théorique.


NOTE BIOGRAPHIQUE

Alain (Emile-Auguste CHARTIER, dit)

Alain, de son vrai nom Emile-Auguste Chartier (né à Mortagne-au-Perche le 3 mars 1868 - décédé au Vésinet le 2 juin 1951), est un philosophe, journaliste, essayiste et professeur de français.